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-PNEA (titre provisoire)

NOTE D’INTENTION, par Pol Pi


- pnée, particule tirée du grec signifiant« respirer ». L’acte qui nous permet d’être envie et qui nous relie entre créatures vivantes : l’air que respire ton chien est le même qui te traverse et que tu transformes en CO2 pour qu’il soit métabolisé par le tournesol en pot posé sur ton bureau... Respirer, un acte aussi involontaire que relié à nos émotions, porte d’entrée aux états de conscience modifiée lorsqu’on apprend à jouer avec, à suspendre le souffle comme le tiret dans « -PNEA ».


La première intuition pour cette nouvelle création m’est venue à travers une curiosité et un goût pour la suspension de la respiration ou ce que l’on appelle l’apnée. Un désir d’habiter physiquement ce temps suspendu ainsi que toutes les métaphores qu’il ouvre à nous. Désir de partir d’une contrainte physique pour aller chercher des états de corps et ses univers chorégraphiques spécifiques.


Par état de corps j’entends une condensation de sensations, de contractions et de relâchés, un agglomérat de rythmes, de rapports au poids, de vitesses, de déplacements dans l’espace, de musicalités singulières, un territoire qui invente son propre environnement et ce qui peut y vivre. Un corps qui, se laissant traverser par autre chose que soi, trouve ses propres logiques pour habiter le temps et l’espace. Probablement parce que je viens du théâtre physique et du butoh comme premières pratiques dansées, les états de corps ont toujours été à la racine de ce qui nourrit mes créations.


Pour « -PNEA », nous explorerons des états de corps déclenchés par un travail avec le souffle et particulièrement sa rétention à poumons pleins ainsi qu’à poumons vides. Dans ces explorations, quatre pratiques nous serviront de points d’ancrage : la plongée en apnée, l’art martial Systema, la respiration holotropique et le breath play du BDSM.

Pendant le processus de création, nous rencontrerons des formateur·ice·s en plongée en apnée pour apprendre des exercices d’entraînement qui nous ouvriront les voies de la rétention du souffle. Nous allons aussi faire l’expérience de la plongée en apnée en mer lors de la première semaine de recherche. Ce qui m’intéresse dans cette pratique, c’est l’état physique de grande détente et d’économie d’énergie qu’elle convoque pour que le souffle soit retenu dans la durée. Le souvenir d’un état aquatique (avec sa densité et son rapport particulier à la gravité) que l’expérience dans la mer imprimera dans les corps sera également

invité dans les qualités de mouvement à creuser pendant les répétitions.


Un autre de état de corps recherché sera celui des corps en lutte, vecteurs et récepteurs de mouvements chargés en énergie. C’est ce que nous irons chercher dans une initiation

à l’art martial du Systema, notamment dans ses techniques basées sur le travail avec le souffle et l’apnée. Rosa Ventadoux, assistante chorégraphique du projet, est professeure de Systema et mènera des entraînements avec l’équipe tout au long du processus de création.

La respiration holotropique, à son tour, sera source d’inspiration pour la recherche d’états de corps qui invitent des physicalités chargées en émotions. Cette technique créée en 1975par Stanislav et Christina Gorf induit un état de conscience modifiée à travers la modulation de la respiration et l’hyperventilation. En janvier 2022, j’ai été formé à la transe cognitive auto- induite pendant les recherches liées à la création de « la grotte » (performance dont la première est prévue en 2024). J’ai alors réalisé combien les états de conscience modifiée faisaient déjà partie de mon approche du mouvement dansé à travers la pratique du butoh, du théâtre physique, de certaines danses traditionnelles brésiliennes, du mouvement authentique... Depuis la découverte de la transe cognitive auto-induite, j’assume le désir d’inviter les états de conscience modifiée dans les processus de création et la curiosité pour la respiration holotropique s’inscrit dans cet élan.


Dernièrement, nous allons explorer la rétention du souffle comme source de plaisir, en s’empreignant de la pratique du breath play ou l’asphyxie érotique du BDSM. Explorer la rétention de l’air comme source d’extase veut dire que nous irons convoquer la recherche de plaisir comme mode de présence, invitant ainsi des nouvelles qualités de mouvement, de musicalité, de flow, de prise de l’espace, de relation aux autres...


Toutes ces portes d’entrées pour explorer l’apnée sont le reflet d’un désir de créer une expérience kinesthésique complexe où les couches multiples en significations pourrontse superposer, se questionner, se nourrir, se contredire à partir d’un même phénomène corporel. Si pour d’autres spectacles j’ai pu partir d’une thématique comme guide pourle processus de création, avec « -PNEA »c’est en une sensation incarnée que nous prendrons appuis. Cette expérience physique sera déployée par un groupe de cinq performeur·euses genres dissedent·es dont les trajectoires de vie et artistique viendront éclater en singularités puissantes chacune des portes d’entrée ici nommées.


© Edmée Petit



Je peux déjà les voir arriver d’un pas déterminé sur une scène vide.L’espace tapissé de noir les lumières basses venant de directions multiples.Le public, disposé autour de la scène-arène, attend depuis un moment, baigné dans une note grave et continue teintée de quelques harmoniques intermittents. Iels s’arrêtent et tout est silence. On peut alors voir que leurs tenues sont faites de superpositions de matières naturelles et synthétiques. Des squelettes d’animaux recouvrent leurs sexes. Pas un son, pas un mouvement autre que leur corps qui respirent. Qui respirent, respirent, qui amplifient méticuleusement leur respiration jusqu’à ce que l’un·e d’entre iels prenne une grande inspiration et rentre en apnée. Alors on attend... rien, on regarde, rien, on retient le souffle, on s’impatiente et on regarde de plus près : il se passe quelque chose, oui, ça bouge de l’intérieur, ça émerge, mouvements, musicalité, énergie contenue, est-ce que j’ai vu un sourire s’esquisser ? Une autre inspire amplement aussi pour se lancer, plonger dans la suspension, puis un autre, et une encore autre... et voilà que la première est revenue de son voyage avec un expire plus qu’audible...


Quand je pense à ce projet, c’est la musicalité d’élans aussi intenses qu’intermittents qui me vient en premier. Je vois une dramaturgie faite de suspensions, de tensions et relâchements proposés par l’acte de retenir le souffle lui-même. Une dramaturgie basée sur la contrainte de n’avoir des mouvements qu’en apnée, c’est le défi qui va nous exciter.


« La respiration est une pratique de la présence. L’une des caractéristiques physiques qui nous rapprochent des mammifères marines est le fait que nous assimilons l’air d’une manière semblable. Bien qu’elles passent la plupart ou la totalité de leur temps dans l’eau, elles n’ont pas de branchies. Nous aussi, sur terre, nous naviguons souvent dans des contextes où il peut nous sembler impossible de respirer. Et pourtant, c’est ce que nous faisons. »

- Alexis Pauline Gumbs. Non-noyées, traduction d’Emma Bigé (à paraitre).


Le désir de prendre le temps d’habiter la danse du souffle et de sa suspension est peut-être aussi celui de comprendre un temps anxiogène où respirer pleinement devient, parfois littéralement, un combat à mener.



Conception, chorégraphie et direction artistique : Pol Pi

Création et interprétation: Acauã Shereya El_Bandide, Perlla Rannielly, Kai Simon Stoeger, Oscar Houtin, Mona Fellah.

Assistance chorégraphique et cours de Systema : Rosa Ventadoux

Travailleuse du texte et regard extérieur : Emma Bigé

Création sonore : Samir Kennedy

Création lumières : Rima Ben Brahim

Création costumes : Edmée Petit


Production : NO DRAMA

Production déléguée : Latitudes Prod. - Lille / Charlotte Martiaux

Administration : Adèle Devos

Communication : Louise Marion – Astrid Herbron





©Edmée Petit






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